Benoît Vaillot, l'ennemi de la diversité
Benoît Vaillot, l'ennemi de la diversité
Réaction à l'article intitulé : " Les ethno-régionalistes contre la République ou les dangers de la différenciation territoriale " de Benoît Vaillot - Dans Humanisme 2022/3 (N° 336), pages 25 à 31.
Le " multirécidiviste " Benoît Vaillot a encore frappé : à force de tweets, d'articles et d'interventions, le doctrinaire habillé des atours de l'historien alerte l'opinion publique du danger qui menacerait la France. A l'en croire, notre Etat serait menacé de désintégration par les coups de boutoir des régionalistes.
La peur irrationnelle qui anime le pamphlétaire procède de la confusion qu'il opère entre unité et uniformité.
Pour Vaillot, l'unité d'un pays et d'une nation ne peut résulter que de son uniformité linguistique, culturelle et institutionnelle.
Toute différence, de quelque nature qu'elle soit, devient dès lors suspecte. A fortiori, toute revendication d'une différence fait naître la vision d'un cauchemar dans l'esprit du croisé jacobin.
Pour effaroucher les citoyens français, sonner le tocsin de la révolte et sommer les Français de rejoindre la croisade contre les régionalistes, Vaillot use d'un vocable qui tient davantage du concept repoussoir que de la description rigoureuse d'une réalité observable.
Vaillot prête aux régionalistes la promotion d'une définition ethnique de l'identité régionale. Pour ce faire, il parle de revendications " ethno-régionalistes ".
Citons la définition d'une ethnie selon le Larousse : " Groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène, et dont l'unité repose sur une communauté de langue, de culture et de conscience de groupe ”.
Ce concept d'ethno-régionalisme est utilisé aux fins de diaboliser les régionalistes.
S'il est constant que les régionalistes sont attachés à la maîtrise de la langue régionale par la population locale, qu'elle soit autochtone ou allochtone, c'est toujours dans une perspective multilingue.
L'idéal poursuivi par les régionalistes est la maîtrise de plusieurs langues par tout un chacun. Les langues ne sont pas mises en concurrence mais perçues dans un rapport de complémentarité.
En réalité, si une telle vision ethnique existe, c'est bien celle de Vaillot qui peut être qualifiée de la sorte. Sa pensée n'est rien d'autre qu'une pensée d'inspiration ethno-nationaliste qui fait de la seule langue française, à l’exclusion d’autres langues, une composante totémique de la définition de l'identité française.
Imagine-t-on un Français ne possédant pas la langue française ? Non, et cela est bien naturel et sain. " Ma patrie, c'est la langue française " déclarait Albert Camus.
Mais alors pourquoi M. Vaillot dénie-t-il aux régionalistes le droit qu'il attribue à d'autres ?
Les langues régionales ne sont-elles pas dignes de jouir de la même protection que le français ? Elles aussi ont droit au titre de langues de France.
"Les analyses économiques les plus récentes insistent sur les inégalités que provoquent la différenciation territoriale et, de façon plus générale, toutes les formes de décentralisation"
La décentralisation, en introduisant de la souplesse dans l'administration des collectivités territoriales , génère inévitablement des trajectoires différentes entre celles qui sont bien administrées et celles qui le sont moins bien. Toutefois, la péréquation assurée par l'Etat ainsi que l'encadrement de la libre administration de ces collectivités permet de garantir l'égalité entre tous les citoyens, qu’ils habitent à Aurillac, Corte ou Paris. En réalité, cette souplesse dont bénéficient les collectivités est bienvenue puisqu'elle permet la gestion dans la proximité et contribue à la prise en compte des réalités locales par des élus qui connaissent leur terrain d’élection.
Au surplus, comme de nombreux économistes l'ont démontré dans leurs travaux, le périmètre géographique d'une institution revêt une importance capitale dans la mesure où ce périmètre doit correspondre à une réalité vécue par les administrés. Plus les citoyens et administrés se reconnaissent dans une institution et ses contours, plus leur implication démocratique sera grande. A contrario, l’existence d’un périmètre institutionnel regroupant en son sein des territoires aux caractéristiques opposées crée d’inévitables difficultés administratives que renforce l’édiction de règles uniformes à l’échelle dudit périmètre.
Dans ses travaux, l’économiste Jean-Philippe Atzenhoffer souligne combien l’élaboration d’un SRADDET à l’échelle de la région Grand Est génère une inégalité intolérable entre les territoires composant cette région.
Selon une logique strictement arithmétique, les mêmes efforts en matière de limitation de l’artificialisation des sols sont demandés à des collectivités qui furent inégalement vertueuses par le passé et qui, de surcroît, ne possèdent pas les mêmes ressources foncières. L’application aveugle d’un principe d’égalité dénaturé produit inévitablement de l’injustice.
“Le fait que, d’un territoire à l’autre, une collectivité d’un même échelon dispose de compétences différentes entraîne une illisibilité démocratique globale, qui amène soit au repli local, soit à l’apathie électorale. Les citoyens ne comprenant guère les enjeux de politique publique dans un débat dénationalisé et peu relayé dans les médias, ils ne votent plus qu’en fonction de la question identitaire, qui est devenue la plus lisible par la différenciation territoriale. Dans ce cas, les mouvements ethno-régionalistes profitent d’une abstention importante, ce qui a permis, par exemple, l’élection en 2021 d’un conseiller départemental dans les Pyrénées-Atlantiques. Leurs partisans sont mobilisés sur la question identitaire ; ceux pour qui cette question est secondaire sont plus sujets à l’abstention “.
Le taux de participation aux élections territoriales de Corse de 2021 inflige un démenti cinglant aux arguments avancés par Benoît Vaillot.
Ce taux, s’élevant à 55,9 %, fait figure de record national et dément l'hypothèse d'une "apathie électorale" que produirait la différenciation territoriale. C'est précisément l'inadéquation entre le périmètre d'une institution et la " réalité vécue " par ses administrés, le défaut de correspondance entre l’identité d'un territoire et les contours géographiques d’une institution qui génèrent cette apathie.
La différenciation territoriale est précisément de nature à renforcer la participation démocratique dans la mesure où elle rend l’action publique plus concrète et plus lisible pour les administrés.
Imagine-t-on une telle ferveur, un tel entrain des Corses à aller voter si la collectivité à statut particulier en charge de l'administration de l'île de beauté était noyée dans une vaste structure associant la terre de Paoli à la feue région Provence-Alpes-Côte d'Azur ?
Les Corses, en se rendant aux urnes, témoignent de ce qu’ils identifient avec netteté le rôle de leur collectivité et les enjeux du scrutin.
4 Une parfaite illustration nous en est offerte avec la création de la Collectivité européenne d’Alsace au 1er janvier 2021, portée par la ministre Jacqueline Gourault. Censée répondre à un « désir d’Alsace » exprimé par on ne sait qui Yolande Baldeweck, “L’État acte le désir d’Alsace”, cette collectivité nouvelle fusionne les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et dispose de compétences exorbitantes du droit commun, notamment en matière de coopération transfrontalière, d’éducation et de transport, sans pour autant quitter la région Grand-Est… L’adjectif choisi pour la qualifier – “européenne” – témoigne de la volonté de s’affranchir symboliquement du cadre national et républicain. Alors que les habitants s’étaient, en 2013, prononcés contre la fusion des conseils généraux par un référendum local, et réclament le rétablissement de la région Alsace supprimée par la loi NOTRe en 2015, une collectivité territoriale à statut spécial leur est imposée afin de satisfaire des élus locaux qui cherchent à flatter les ethno-régionalistes. Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale….
18 Le quinquennat d’Emmanuel Macron restera sans doute dans l’histoire comme une étape importante de la destruction de l’unité et de l’indivisibilité de la République. Le département de Moselle se rêve désormais en “euro-département” avec des compétences particulières, en matière de coopération transfrontalière notamment. Les ethno-régionalistes en Bretagne ont déjà fait savoir leur désir d’une collectivité à statut unique regroupant cinq départements, cherchant ainsi à détruire la cohérence régionale des Pays-de-la-Loire, qui se verraient privés de la Loire-Atlantique. Enfin, les ethno-régionalistes corses, encouragés par la différenciation territoriale, ne manquent aucune occasion pour faire avancer leur agenda, un agenda qui conduit inéluctablement à l’indépendance s’ils ne sont pas empêchés par un État fort au niveau local. L’introduction explicite du principe de différenciation territoriale dans le droit français offre aux ethno-régionalistes la possibilité de prendre une revanche sur la République qu’ils ont toujours combattue au cours de leur histoire. La République laissera-t-elle faire cette réaction qui n’aurait sans doute pas déplu à Charles Maurras ?
Aux termes des dispositions de l'article L 1115-1 du code général des collectivités territoriales :
"Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire. Ils prennent en considération dans ce cadre le programme de développement durable à l'horizon 2030 adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 25 septembre 2015. A cette fin, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, le cas échéant, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères. Ces conventions précisent l'objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers. Elles entrent en vigueur dès leur transmission au représentant de l'Etat dans les conditions fixées aux articles L. 2131-1, L. 2131-2, L. 3131-1, L. 3131-2, L. 4141-1 et L. 4141-2. Les articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 leur sont applicables “
Comme le confirme la lecture de cet article, une action internationale des collectivités territoriales est d'ores et déjà possible. Cette action s'inscrit en compatibilité avec l’action de l’Etat en la matière.
Le transfert de compétences à la collectivité européenne d'Alsace en matière de coopération transfrontalière ne brise ni l'unité nationale ni l'indivisibilité de la République.
La possibilité pour cette collectivité d'agir dans ce domaine répond pleinement à la situation géographique particulière de son territoire, qui justifie que le législateur favorise le déploiement de politiques publiques à l’échelle du Rhin supérieur. L’intérêt général nécessite parfois le dépassement du strict cadre national, comme a pu le confirmer la crise du Covid à l’occasion de laquelle des personnes infectées par le virus ont pu être prises en charge outre-Rhin.
"L’idée a une portée plus longue et est bien différente dans sa nature : chaque collectivité étant différente des autres, ses compétences devraient épouser ses besoins particuliers. Le problème réside en ce que l’expression de ces besoins découle d’une revendication identitaire et non de la défense de l’intérêt général ou même local "
Le distinguo qu’opère Benoît Vaillot entre ce qui relève d'une “ revendication identitaire " et ce qui procède de la " défense de l'intérêt général “apparaît largement artificielle.
Tout projet politique repose nécessairement sur une vision particulière de l'intérêt général. Chaque doctrine politique se singularise quant à sa conception du bien commun. Chaque école de pensée établit sa propre hiérarchie de buts à atteindre.
En démocratie, c'est aux électeurs qu'il revient d'arbitrer ensuite entre ces projets concurrents se faisant une idée différente du bien commun qu’il convient de poursuivre.
Aussi, si les régionalistes défendent la protection et la promotion de la langue régionale, causes qu’on peut ranger parmi les " revendications identitaires ", c’est parce que nous pensons que la maîtrise d'une telle langue confère à ses locuteurs un avantage significatif à plusieurs titres. Il en va notamment ainsi du point de vue économique, la maîtrise de l’allemand permettant l’ouverture de nombreuses perspectives professionnelles. En réalité, définir l'intérêt général de manière aussi abstraite, comme si celui-ci constituait une notion éthérée et désincarnée, indépendante des circonstances de temps et de lieu qui l’entourent, c'est se faire une idée dévoyée du politique, c’est également nier l’influence des Hommes sur la définition de l’intérêt général qui résulte de la compétition entre doctrines politiques concurrentes.
Jean Faivre
Voir Heimet 245 et 246