IV Ernest Buckenmeyer -Échanges avec le Dr Albert Schweitzer
IV. Ernest Buckenmeyer (1906-1989)
Échanges avec le Dr Albert Schweitzer
et l’hôpital de Lambaréné par Sorg Jean-Paul
Le Docteur Albert Schweitzer était devenu dans les années 1950 une célébrité mondiale et pour l’Alsace une référence, un motif de fierté… régionale. L’Alsace, pays d’Albert Schweitzer citoyen du monde.
Frédéric Hoffet, entreprenant une psychanalyse de l’Alsace et s’arrêtant devant « le cas Albert Schweitzer », connu partout, ses ouvrages traduits en une douzaine de langues, mais avec retard et parcimonie en France (à Paris), écrivit en 1951 : « Schweitzer est l’homme le plus remarquable que l’Alsace ait produit depuis la Renaissance. Il incarne l’âme et l’esprit de son pays. Je dis qu’il est troublant, je dis qu’il est grave, qu’il reste pratiquement inconnu à Paris. En l’ignorant, c’est l’Alsace que l’on ignore. »
[« Schweitzer ist der bedeutendste Mensch, den das Elsass seit der Renaissance hervorgebracht hat. Er verkörpert die Seele und den Geist seines Landes. Ich sage, dass es verstört, ich sage, dass es herausfordert, dass er in Paris praktisch unbekannt ist. Wenn man ihn nicht kennt, kennt man das Elsass nicht. » Psychoanalyse des Elsass, aus dem Französischen von Jochen Glatt, Morstadt Verlag, Kehl am Rhein, 2021.]
Quelle est la situation aujourd’hui, en 2024, un an avant le 150e anniversaire de sa naissance? Frédéric Hoffet est né en 1906, comme Ernest Buckenmeyer qui ne trouvera jamais des encouragements et des soutiens pour exposer ses sculptures sur bois dans une galerie parisienne. Quoi qu’on dise et veuille, l’Alsace, ses artistes, ses écrivains, reste en-dehors du champ d’intérêt naturel de la France. Ce n’est pas le même monde, la même Kultur. Il reste donc à l’Alsace de rayonner en priorité dans l’espace rhénan où elle est chez elle ? Cela n’est pas chose aisée non plus, pour toutes sortes de raison, dont maintenant (depuis deux générations) la langue. L’espace rhénan est alémanique, donc allemand, germanique. La langue et la culture française, comme elles sont installées en Alsace, y figurent un corps allogène – « à l’instar de l’étranger effectif » ! Quoi qu’on dise, quoi qu’on veuille ! Elles y font entrer de la dualité.
Dans cette perspective, il revient aux Alsaciens de se réapproprier la langue allemande, s’ils veulent « être de la famille », s’ils veulent participer à la culture rhénane vivante. Ce n’est pas aux Badois et aux Bâlois d’apprendre absolument la langue et la culture française. Ils sont, ils peuvent être pleinement rhénans sans elle, sans le français. Mais les Alsaciens ne peuvent être rhénans sans l’allemand. Il n’y a pas photo ! Il n’y a pas entre les deux parties (les deux rives du Rhin) de symétrie.
Le docteur et philosophe Albert Schweitzer est une des rares grandes personnalités qui ont vécu, incarné, pleinement cette dualité (germano-française) avec bonheur, sans « effets secondaires négatifs » comme telle médecine. Raison pour laquelle Schweitzer représentait un idéal « alsacien » communément inatteignable et fascinait des personnes comme Frédéric Hoffet, qui fit sa psychanalyse pour embarrasser la France, ou comme l’artiste Ernest Buckenmeyer, qui malgré sa vitalité et sa largesse resta dans un certain sourd indicible mal-être, typique des Alsaciens de sa génération et des autres qui suivirent. Il ne fut pas entièrement reconnu pour la qualité de ses œuvres, comme il l’aurait mérité, et il ne put réaliser socialement toutes ses virtualités.
Les frontières mentales dans les têtes ne sont pas moins difficiles à effacer que celles fixées par les aléas politiques et les habitudes prises. Etaient entravées pour lui la montée à Paris comme la traversée du Rhin. Telle la condition humaine de l’Alsacien dans son Schnokeloch.
Extraits, voir l’article au complet dans notre revue « D’Heimet 253 » Pages 12 à 14