René-Nicolas Ehni
René-Nicolas Ehni et ses leçons d’alsacien
Personne n’a osé comme lui…
Il n’avait pas son pareil pour mitrailler le français de termes alsaciens qu’il trouvait tellement plus expressifs, plus appropriés, plus sonores. Il renvoyait à tout bout de champ, sans se gêner, ses lecteurs (parisiens, nationaux) à sa langue originelle du Sundgau qu’il disait « mon jargon maternel, mon idiome, langue hirsute qui n’a pas le sens commun ». Il ne faut pas chercher à justifier chaque mot, mais « hirsute » va bien, kützig, quoi ! Tandis que le français, comme tout Sundgauvien le ressentait, est une langue gominée de monsieur, « une langue de classe et même, chez nous, impérialiste ». On lance des vannes et on s’amuse.
Saisch Sanft oder wie mir àls z’Mülhüsa Samfft oder noch Saneft, wenn nit Seneft, comme ils disent et écrivent dans le nord, Mina Seneft dezü, salut Scheef, bref, saisch Sanft ou Seneft, le mot est schàrf par lui-même, par son son, tandis que « moutarde », beuh ! Ça sonne mou, aucun piquant, aucune envie ! Seul celui pour qui la moutarde, c’est du Samft, en connaît vraiment le goût avec le la Wurscht, avec du Lyoner… Entre Wurscht et saucisses, aussi, il y a un mur, un fossé, que la gastronomie ne franchit pas.
L’écrivain prend le train. A Mulhouse, avec sa maman, Jeanne, pour Strasbourg. Puis, Paris, puis destination Venise. Le fils offre à sa màma un voyage à Venise, via l’Autriche. Il en tirera sur le vif un livre : Côme, confession générale (Christian Bourgois, 1981). Pour le moment, nous sommes en 1980, au mois d’octobre, « le vignoble est splendide, la montagne est belle, la Forêt-Noire n’est pas mal non plus ». Le train qui se rend de la haute Alsace à la basse Alsace passe lentement devant la petite ville de Rouffach. Maman qui connaît bien se lève et s’écrie Rrrou… fàch ! Elle ne dit pas, sec, Rouffac, comme le contrôleur, mais en ouvrant grand la bouche et gonflant ses poumons Rrroufàrrr. Brrr ! Ça vibre, tout le compartiment en est assourdi, les vitres tremblent.
Extraits
Que le Luftibus fût enterré à Eschentzwiller a interrogé plus d’un. Depuis une trentaine d’années, il vivait sur son île en Crète, écrivain public dans un village du nom de Plaka. C’était là-bas maintenant sa Heimet, nit ? Mais voilà que des circonstances, dont la maladie, ont fait qu’il est revenu à Mulhouse ou même à Rixheim même, son village civilement natal. Des circonstances ? Les hasards ? Superficiellement, mais en profondeur peut-être une obscure volonté, une force, la force d’une forme, celle d’une boucle qui se ferme et dessine la figure parfaite d’un cercle ? Fin de l’errance. Sa vie s’achève en odyssée là où elle a commencé, à Eschentzwiller. Il a réussi comme Ulysse. Chapeau, le poète ! Und es war alles, alles gut.
Jean-Paul Sorg
Extraits, voir l’article au complet dans notre revue « D’Heimet 244 »