La consultation citoyenne
HEIMET 242
La consultation citoyenne : remède à la crise de la représentation
Le résultat de la consultation organisée par la Collectivité européenne d’Alsace est sans appel : plus de 92 % des participants ont exprimé la volonté de voir l’Alsace sortir de la Région Grand Est. Plus de 168 000 personnes ont participé à cette consultation, ce qui représente plus de 11 % du corps électoral alsacien, c'està-dire des personnes inscrites sur les listes électorales. Ce score « soviétique » obtenu par le oui n’est en réalité guère surprenant.
Les partisans de la sortie du Grand Est ont naturellement été davantage portés à se mobiliser pour faire entendre leur voix que les partisans du maintien de l’Alsace dans le périmètre régional existant.
Pour tenter de décrypter le sens du résultat de cette consultation, il semble pertinent de discuter certains des arguments versés au débat public à l’annonce des résultats. Aussi, pour le géographe Richard Kleinschmager qui a donné une interview aux DNA publiée dans l’édition du 21 février, cette consultation présente plusieurs tares qui seraient de nature à en affaiblir sérieusement la portée. Parmi ces défauts, le premier résiderait dans l’absence de débat ayant précédé la consultation. Prenons le temps d’examiner cet argument : Afin de pouvoir voter en pleine conscience et en ayant une bonne connaissance des enjeux sous-tendus par la question sur laquelle il va se prononcer, le citoyen doit pouvoir s’informer en profitant de l’organisation d’un large débat public contradictoire qui lui permettra de se forger une opinion.
S’il est établi qu’un tel débat n’a pas eu lieu, qu’il est sain de s’en émouvoir, il convient toutefois de préciser qu’il semble hautement improbable que la majorité actuellement au pouvoir à la région aurait accepté de se prêter à cet exercice qui l’aurait placée d’emblée dans une position délicate. Pour elle, l’existence de ce périmètre institutionnel va de soi et ne saurait être remis en cause.
Toute expression d'un doute étayé par des considérations économiques, démocratiques ou culturelles exhale nécessairement un parfum de « repli sur soi ».
Ensuite, le professeur Kleinschmager reproche à la question posée d'être une question univoque.
Là, il est plus difficile de suivre son raisonnement. Pourquoi la manière dont la question était posée constituaitelle un vice de nature à en annihiler la légitimité ? Au contraire, il semble que la question était dénuée de toute ambiguïté et permettait aux citoyens de s’exprimer franchement en comprenant clairement les contours de la question sur laquelle ils étaient appelés à se prononcer.
En réalité, cet argument est étroitement lié à l’absence de débat préalable à la consultation. L’universitaire poursuit en jugeant qu’une telle consultation aurait pour effet de « squeezer » (sic) la représentation politique. Cet argument est bien fondé mais nous ne lui attribuons pas la connotation négative qui lui est associée par le professeur Kleinschmager qui use volontiers d’un terme dépréciatif
lorsqu’il utilise le verbe “squeezer“.
Nous sommes bel et bien en France, sous la Vème République, dans le cadre d’un régime représentatif, d’une démocratie représentative qui consiste à ce que les citoyens confient à des représentants élus l'exercice d’un mandat qui est régulièrement remis en jeu dans le cadre d’élections libres. Naturellement, l‘organisation d’une telle consultation a pour objet et pour effet d'introduire une dose de démocratie semi-directe dans un régime qui est essentiellement fondé sur la représentation. Or, cette introduction est faite à dose homéopathique et ne saurait remettre en cause les fondements représentatifs de notre démocratie. Bien au contraire, l'introduction de tels mécanismes permet de corriger les défauts d’une démocratie représentative à bout de souffle qui présente des maux que l’on associe fort justement à une crise de la représentation. Le risque de tels procédés est que la question apparaisse comme un “défouloir “ plus que comme une question de fond engageant l’avenir de la collectivité. Or, précisément, si le président de la Collectivité européenne d’Alsace, Frédéric Bierry, a recours à une telle consultation, c'est justement parce que le débat sur la refonte du périmètre institutionnel est verrouillé, tant au niveau des partis - il n’est qu’a songer à l’opposition entre Frédéric Bierry et Jean Rottner au sein des LR - qu’au niveau parlementaire, alors que la majorité des Alsaciens se déclare toujours hostile à ce périmètre et réclame avec constance et insistance le retour à une région Alsace. Aussi, ce mécanisme démocratique doit permettre d’asseoir davantage la légitimité de la démocratie représentative et de la renforcer en en corrigeant ses défauts inévitables. Il ne s’agit donc ni de la contourner ni de la subvertir. C’est ainsi qu’il faut comprendre la volonté de Frédéric Bierry de saisir de cette question les différents candidats à la présidentielle afin que le futur locataire de l’Elysée puisse, une fois parvenu au pouvoir, initier le processus qui pourrait mener à une loi permettant la création d’une collectivité alsacienne à statut particulier exerçant les compétences d’une région et d’un département.
Le chemin est certes long, mais la longueur inhérente à une telle procédure est une garantie de son caractèredémocratique. Aussi, si le prochain président de la République tient compte de la vox populi alsacienne en donnant l’impulsion d’une procédure législative débouchant sur la renaissance d’une collectivité alsacienne à statut particulier, c’est bel et bien la démocratie qui triomphera.
Jean Faivre