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Généraux Alsaciens de Napoléon

Le mythe des généraux alsaciens de Napoléon

« Pourquoi l’Alsace est fan de Napoléon ? », s’interrogeaient les Dernières Nouvelles d’Alsace en 2021, année du bicentenaire de la mort de l’Empereur. Peut-être parce qu’on a longtemps répété aux petits Alsaciens que leur province lui avait donné beaucoup de généraux : 60, 70, 75 ? Le décompte varie selon les auteurs, mais il sous-entend toujours un ralliement de l’Alsace à Napoléon et, en même temps, à la France. La réalité est plus complexe.

Qu’est-ce qu’un général alsacien ?

Le site internet de la section « Ile-de-France » du Cercle généalogique d’Alsace a recensé 69 généraux natifs d’Alsace ayant servi dans les armées de la Révolution et du Premier Empire. Certains sont morts avant la prise de pouvoir de Napoléon Bonaparte, comme Louis-Théobald Ihler, mort au combat en 1793, ou Jean-Michel Beysser, guillotiné en 1794. On remarque, dans cette liste, une proportion très importante de noms à consonnance française. Il s’avère que nombre d’entre eux sont des fils de militaires qui se trouvaient en garnison en Alsace (Amey, Barbier, Bourcier…). Certes, les mères sont parfois des Alsaciennes (celle de Frédéric Michel François de Lajolais est une Allemande de Germersheim), mais voilà des profils qui ne sont pas ceux d’un Kléber ou d’un Rapp, issus de familles plus solidement ancrées dans la société alsacienne.

Que le propos ne soit pas mal interprété : il ne s’agit pas ici de décerner des brevets de pureté ethnique, mais de comprendre le contexte culturel dans lequel les individus ont grandi. Osons dire que la seule naissance en Alsace ne suffit pas à faire un Alsacien. Ou alors, si le général de La Ville-sur-Illon, né à Lauterbourg en 1777, fils du major de la place et de Cécile de Maubuisson, est effectivement un « général alsacien », on pourrait, au même titre, aussi compter comme « généraux alsaciens » tous les fils d’officiers prussiens nés en Alsace à la fin du XIXe siècle qui se retrouveront à la tête des troupes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Beaucoup de généraux ?

Les armées françaises ont été commandées par 2232 généraux et amiraux entre 1792 et 1814, d’après le Dictionnaire biographique de Georges Six. Les 69 généraux nés en Alsace représentent donc 3% du total. D’après le recensement de 1806, les deux départements alsaciens comptaient 915 000 habitants, et la France, dans ses frontières actuelles, 29 648 000 habitants, donc l’Alsace représentait environ 3% de la population. Mais il y avait, certes, des généraux issus de territoires qui étaient des départements français et qui ne le sont plus aujourd’hui. Si l’on rapporte la population alsacienne de 1806 à celle de l’Empire français de 1811, estimée à 44 millions, nous sommes à 2% de la population totale. Il faudrait, naturellement, affiner cette estimation rapide, mais on constate que la soi-disant surreprésentation alsacienne parmi les généraux (3%) n’est pas énorme. Quant aux 28 généraux alsaciens dont les noms sont gravés sur l’Arc de Triomphe, ils représentent 4% des généraux de la Révolution et de l’Empire mentionnés sur ce monument.

Ce nombre de 28 a été mis en avant, entre autres, par la propagande française pendant la Première Guerre mondiale (il comprend le général Castex, qui n’a pas d’origine alsacienne, mais a épousé une Alsacienne et s’est établi dans la région). Il serait intéressant d’étudier les origines de l’expression « généraux alsaciens » ; il est fort probable que son emploi remonte aux années suivant la guerre de 1870, car elle semble conçue comme une arme politique. Des recensions de généraux locaux ont-elles été menées dans d’autres régions ? Il faudrait pouvoir effectuer des comparaisons avec l’Alsace.

Des patriotes français ?

Pour finir, rappelons que le général alsacien sans doute le plus connu n’a pas toujours porté l’uniforme français : Kléber a servi, dans sa jeunesse, dans les armées bavaroise et autrichienne. D’autres servaient, avant la Révolution, dans des régiments suisses ou allemands au service du roi de France (de Coëhorn, Dorsner, Hatry, Schramm, etc.), ce qui peut être considéré comme du mercenariat. Notons, au passage, que le régiment d’Alsace faisait partie des régiments allemands. Les guerres de la Révolution et de l’Empire ont représenté, pour les officiers « alsaciens » (avec toute la prudence dont on sait, désormais, qu’il faut entourer ce terme), autant d’opportunités de mener une belle carrière militaire. L’Alsace napoléonienne, au sens d’une région qui se serait distinguée par son zèle à servir, semble être un mythe : l’Alsace était un morceau de l’Empire français, vivant à l’unisson des autres morceaux ; sa tradition militaire donne l’impression d’un engouement, lequel s’inscrit, en fait, dans la continuité.

Eric Ettwiller, agrégé, docteur en histoire

      Président d’Unsri Gschìcht www.unsrigschicht.org

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Monument en l’honneur de François Antoine Louis Bourcier dans sa ville

natale de La Petite-Pierre/Lützelstein. Mais ce général était-il vraiment

Alsacien ? (Photo : Didivo67 sur Wikimedia Commons, 2021).


Date de création : 27/03/2023 23:19
Catégorie : Meinùnge / Opinion - Unsri Gschicht
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