La République " démayllotée "
La République " démayllotée "
A priori, tout oppose Mayotte et l’Alsace-Moselle. Quand l’une est une île, l’autre est bien arrimée au continent. L’une est connue pour ses villages proprets quand l’autre défraie depuis quelques mois la chronique par sa situation éruptive. Pourtant, ces deux territoires ont en partage de faire figure d’exceptions notables au principe censé régir le système juridique d’un Etat unitaire, c'est-à-dire l'uniformité de l’application du droit sur son territoire. La presse régionale a récemment rendu compte de la visite d’une délégation mahoraise en Alsace. A l’occasion de ce séjour, les représentants de cette île de l’archipel des Comores ont souhaité rencontrer des représentants de l'institut du droit local pour s’inspirer des moyens mis en oeuvre aux frais de promouvoir le particularisme juridique propre à l’ancien Reichsland. Chacun sait la crise protéiforme que l’île traverse actuellement. Toutefois, à imputer toutes les difficultés mahoraises aux seuls flux migratoires assaillant l’île, nous nous rendons incapables d’en discerner la pluralité des causes et partant, d’y apporter quelques solutions.
A cet égard, il convient de rappeler que la départementalisation de Mayotte en 2011 - Mayotte devenant le 101ème département français - a entraîné la fin de la justice cadiale à laquelle étaient soumis les autochtones. Cette rupture fondamentale, dont les conséquences funestes ont été sous-estimées, contribue à nourrir la situation d’anomie, notion élaborée en son temps par le sociologue Emile Durkheim, qui désigne une situation de dérèglement social et d’absence de repères. Les cadis, magistrats musulmans, ont depuis largement perdu de leur influence alors qu’ils contribuaient auparavant à structurer et encadrer la société mahoraise. Dans sa tentative de discerner une philosophie animant le droit local alsacien-mosellan, Jean-Marie Woehrling note l'importance des corps intermédiaires dans l’organisation sociale. En Alsace-Moselle, on peut citer les exemples des chambres consulaires et des ministres du culte. Cette philosophie s’inscrit d’ailleurs en opposition aux principes philosophiques irriguant la société française depuis la Révolution de 1789. Celle-ci ne reconnaît de légitimité qu’à l’individu et à l’Etat. Dans le cas de Mayotte, ces principes théoriques nourrissent l’instabilité de l’île.
Les Mahorais ne peuvent payer d’un prix aussi élevé leur volonté d’être Français. L’application, en tout point, du droit général à Mayotte, loin de garantir l’égalité devant la loi, est porteuse d’inégalités. Pour ré-arrimer Mayotte à la France et sa promesse d’égalité, il convient, là où des situations objectivement différentes le justifient, d'adapter les règles à la particularité de cette île de l'Océan indien.
Jean Faivre